Tendances et enjeux du marché de l’art 

TENDANCES ET ENJEUX DU MARCHE DE L’ART : ALLONS-NOUS VERS UNE POLARISATION ?

  • Ken ROSA-ARSENE
  • Published: 18 April 2019

 

Le marché de l’art a connu ces dernières années de profondes mutations. Afin d’échanger sur de ces évolutions, nous avons réuni le jeudi 11 avril dernier différents acteurs du marché de l’art : Emilie Villette (Directrice du développement de Christie's France), Stéphane Mathelin-Moreaux (Directeur du Département des professionnels de l'Art chez Neuflize OBC), Marion Papillon (Directrice de la galerie d'art Papillon) et Pierre Naquin (Fondateur d'Art Media Agency).

L’état des lieux que nous avons dressé met en avant une polarisation à tous les niveaux. La valeur du marché se concentre sur quelques transactions très élevées, réalisées par de grands acteurs, et portant sur un ensemble restreint d’artistes modernes et contemporains :

  • les ventes de plus de 1 million de dollars constituent 1% des transactions à l’échelle mondiale, mais représentent 61% de la valeur du marché des ventes aux enchères, estimé à 29,1 milliards de dollars en 2018.
  • les 5 premières maisons de vente aux enchères représentent désormais plus de 50% du marché et les grandes galeries opèrent des rapprochements dans la course à la taille ; en parallèle, les galeries de taille intermédiaire accèdent plus difficilement aux vitrines des foires internationales et se retrouvent plus directement en concurrence avec les petites galeries
  • 36% de la valeur du total des ventes se porte sur 20 artistes majeurs de l’après-guerre et contemporains

 

Priorité à la conquête de nouveaux clients

Face à cette nouvelle configuration, les acteurs français – galeries d’art et maisons de vente aux enchères – doivent relever de nombreux défis. Parmi ceux-ci, figure la conquête de nouveaux clients privés pour pallier la supériorité de l’offre sur la demande, dans un contexte de baisse des investissements publics dans l’art qui réduit fortement la commande des musées nationaux, animateurs historiques du marché en France.

Or, les nouveaux acheteurs, notamment jeunes entrepreneurs, ont des attentes différentes des collectionneurs « classiques ». En quête de sens et de rentabilité, ces nouveaux profils ne suivent plus forcément, comme leurs aînés, les mêmes artistes sur le long terme. A l’inverse, leurs intérêts évoluent vite et portent sur une variété plus grande d’œuvres et d’objets. Les galeries et les maisons de vente doivent donc faire évoluer leurs pratiques pour, d’une part, faire entrer ces nouveaux clients sur le marché et, de l’autre, les fidéliser.

 

Le digital, un défi déjà relevé ?

Dans l’environnement actuel, nos intervenants considèrent le digital comme un atout de taille. En effet, si la part des achats réalisés en ligne augmente chaque année (+11% en 2018, soit 9% du marché global), les nouveaux acteurs digitaux de l’art ne sont aujourd’hui pas perçus comme une menace par les acteurs traditionnels, qui voient dans leurs propres plateformes en ligne un atout majeur pour accroître leur clientèle.

41% des nouveaux clients de la maison Christie’s sont ainsi arrivés via le site de vente en ligne. Le défi pour les professionnels est ensuite de réussir à accompagner ces nouveaux clients sur long terme.

Par ailleurs, le digital pourrait constituer un moyen efficace pour traiter certaines problématiques d’authentification et de provenance des œuvres. Des technologies comme la blockchain par exemple pourraient faciliter l’achat et la vente d’œuvre d’art sur des places de marché et ces derniers pourraient concurrencer les acteurs traditionnels.

 

Le rôle accru de la finance pour faire face aux enjeux du secteur de l’art

Les acteurs constatent également une financiarisation accrue du marché, corollaire de la polarisation autour de l’art contemporain. Très onéreux, ce dernier nécessite des moyens financiers importants pour représenter les artistes, acheter et revendre leurs œuvres. Pour rester dans la course, les galeries françaises, actuellement sous-capitalisées, doivent augmenter leurs fonds propres. Pour ce faire, l’une des solutions évoquées pourrait être de reprendre le modèle des sociétés commerciales et d’ouvrir leur capital à l’instar de leurs homologues anglo-saxons et notamment américains. Mais en France les galeries hésitent encore à changer de modèle, craignant de perdre ce qu’elles considèrent comme une spécificité nationale.

Pour faciliter la transition, aujourd’hui, certaines banques qui affichent leur volonté de se repositionner sur le marché de l’art proposent des solutions de financement innovantes qui répondent mieux aux besoins des acteurs du secteur, particulièrement en matière de constitution de stock.

 

Un marché de l’art toujours en mutation

Fort est à parier que dans les dix années à venir, le marché de l’art continuera de se transformer profondément. Sa polarisation ne devrait pas faiblir dans les prochaines années, avec des acteurs dominants qui vont encore tirer la croissance du secteur y compris via des fusions-acquisitions, tandis que de nouveaux acteurs proposeront des offres différenciantes.

L’ensemble des intervenants restent confiants : l’appétence des investisseurs pour l’art n’a jamais été aussi forte. En France, la dynamique qui porte l’intérêt pour les objets de collection se nourrit de la richesse historique des territoires qui permet de découvrir ou redécouvrir des œuvres oubliées et contribue fortement à la vitalité du marché secondaire.

Les challenges ne manquent cependant pas : comment bien répondre aux enjeux de la professionnalisation des marchands d’art et d’adaptation de leurs métiers, comment stimuler en France le tissu d’artistes contemporains pour favoriser la créativité, fluidifier les relations entre acteurs et donner une plus grande visibilité au travail artistique ?

Enfin au regard du marché global de l’art dominé par trois places internationales qui en captent 84% (New York, Londres et la Chine), les banques auront un rôle-clef à jouer, pour permettre aux acteurs de poursuivre leur croissance en France, de gagner en visibilité dans le concert international et d’y reprendre des parts de marché.